Le clochard-poète d’Alphabet-City
J’ai encore marché des heures. Longé la côte Est de la ville en scrutant Jersey City. Traversé des marinas aux effluves de gasoil sous le regard sévère des vigiles.
Puis, la « high line », un projet de rénovation urbaine sur une ancienne voie de métro. L’ex-maire Guliani voulait la détruire, mais deux citoyens ont réussi à force d’acharnement, à sauver la ligne suspendue. La voilà devenue promenade fleurie et artistique. Comme la coulée verte parisienne, la high line a aussi un rôle écologique de fixateur d’azote, sorte de climatisation bio à l’échelle de la ville. L’été, il fait bon s’y promener pour profiter des nombreux spectacles et installations artistiques. Comme «Skittles » de l’artiste Josh Kline, qui proposer des fausses boissons à bases d’ingrédients improbables. J’ai pris l’initiative de nommer ici ces cocktails post-modernes et de traduire leurs compositions.
Puis c’est déjà Tribeca. A la sortie de Lafayette Station, un SDF afro-américain a posé son échoppe qui clame « poèmes à la demande ».
Je fouille dans ma poche pour lui tendre un Washington plié. Il m’explique qu’il était un grand poète. Avant. On devine avant quoi. à ses yeux entrouverts, à son visage en l’air.
Comme si il bronzait à la lumière des lampadaires.
Il farfouille et me sort un press-book photocopié qu’il serre entre ses ongles sales. Un article du New York Times sur un poète, cet autre lui. Avant. La publication, le gout bref de la réussite. Des fêtes du tonnerre:
– Avec des mannequins, et ce Français que tu connais peut-être, Jean-Michel Jarre ? Pour un petit gars comme moi d’Alphabet City sur Est-Hudson c’était la belle-vie.
Alphabet city. Des avenues nommées par des lettres à quelques blocs. Les new-yorkais avaient un proverbe sur les projects dans les années 90 : Avenue A tout va bien (its Allright), avenue B faut être Brave, avenue C faut être fou (Crazy), avenue D t’es mort (Dead).